DIALLO Asséta
Chargée de recherche
Institut des sciences des sociétés (INSS)
Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Burkina- Faso
assetadiallo1@hotmail.fr
Résumé
Cet article s’inspire de A. DIALLO (2020) « Description terminologique « anndal tayka », manuel d’enseignement des sciences de la vie et de la terre en fulfulde »
Les relations de sens sont des aspects complexes. Leur détermination n’est pas toujours évidente. Même dans le domaine terminologique, où la clarté et la précision sont de rigueur dans la détermination du sens d’un terme, on assiste souvent à une prolifération de termes synonymiques. Cet état de fait, loin d’être négatif apporte une valeur ajoutée à la sémantique lexicale. La présente réflexion dans le domaine socioterminologique porte sur la détermination du rapport de synonymie existant entre les termes blatte et cafard.
Mots clés : synonymie, socioterminologie, blatte, cafard
- Introduction
En terminologie, surtout pour les terminologues traditionnels défenseurs de l’approche dite classique, courant développé l’ingénieur Autrichien Eguen Wüster. Ces derniers évoquent l’univocité terminologique. Cela revient à dire qu’à un sens correspond une et une seule forme. Cette utopie est valable si seulement le terme ne fait pas partir du lexique général de la langue. En effet dans toutes les langues dites naturelles ce phénomène est rencontré. Par ailleurs en se situant dans la terminologie descriptive on se rend compte de la non pertinence du principe de l’univocité des termes. A coté de l’approche classique, l’approche socioterminologique bannit l’univocité en privilégiant la synonymie. A travers une description bilingue français-fulfulde des termes blatte et cafard nous mettons en évidence l’importance de la synonymie en terminologie.
L’objectif de cette recherche est de décrire les termes blatte et cafard en français et en fulfulde.
Il s’agit s’spécifiquement de dresser une fiche bilingue dans les deux langues citées. Et de les décrire au plan morphologique et sémantique.
Pour atteindre les objectifs ci-dessus fixés, nous inscrivons cette recherche dans les lignes de la socioterminologique développée par F. Gaudin. C’est une approche descriptive qui met au centre des recherches l’usage des termes dans les différents contextes de communication. Pour F. GAUDIN (1994 : 8) :
Une socioterminologie bien comprise ne peut être séparée du savoir que les termes permettent d’impliciter, de transmettre ; mais ne peut être non plus coupée de la pratique sociale, des discours au sein desquels les termes sont utilisés, des visées pragmatiques qu’ils servent, pas plus qu’on ne saurait les isoler des tensions sociales ou des rivalités industrielles.
- Méthodologie
La méthode de recherche adoptée dans la présente recherche porte sur deux points : la recherche documentaire, l’analyse des termes. Une lecture de documents principalement A. DIALLO (2020) sur le thème « Description terminologique « anndal tayka », manuel d’enseignement des sciences de la vie et de la terre en fulfulde » mais aussi sur la synonymie et la terminologie nous a permis de nous positionner et d’affiner la démarche théorique. Par ailleurs, elle a facilité le choix des rubriques sur les fiches terminologiques. L’analyse des données a consisté au traitement des deux termes sur quatorze rubriques portant sur le terme, sur la notion et sur la relation entre le terme et la notion.
- Résultats
Avant de dresser la fiche, il est important de dire ce qu’est la synonymie. La synonymie est un phénomène naturel rencontré dans les langues, il peut être abordé de différentes manières. Michelle Lecolle (2009 : 123) définit la synonymie comme une « relation de sens (proximité, équivalence – un « même sens »), entre unités lexicales […], ce qui la distingue de la relation de paraphrase ». La synonymie relève donc de la sémantique lexicale. Il s’agit des unités lexicales qui se caractérisent par une équivalence, une similitude ou une proximité du sens existant entre eux. Etablir la relation de synonymie entre deux ou plusieurs unités lexicales nécessite la prise en compte des critères suivants que C. Masseron (2009 : 3-4) appelle les propriétés définitoires de la synonymie. Il s’agit de :
- Le domaine convoqué par la synonymie est celui de la sémantique lexicale : s’y rattache notamment l’attention portée à l’unité mot, étant donné l’association d’une forme et d’un sens que le mot symbolise (valeur d’usage) mieux que toute autre structure signifiante ;
- La reconnaissance d’une relation de sens (« une analogie générale de sens », le contenu « conceptuel » commun) entre deux ou plusieurs unités lexicales ;
- L’appartenance des synonymes à une même catégorie grammaticale, plus précisément, à une catégorie « lexicale » : noms, verbes, adjectifs et adverbes ;
- La fonction différentielle de la synonymie pour dissocier les acceptions d’une entrée polysémique, et pour s’interroger sur le statut du sens figuré (l’exemple de courir) ;
- Le test de la substituabilité entre les unités synonymes, et le rôle du cotexte syntagmatique pour rejeter ou accepter une commutation de termes ;
- La discussion sur l’espace de recouvrement sémantique (synonymie absolue, partielle, ou approximative) entre les unités lexicales ; autrement dit, la possibilité de considérer des degrés de synonymie ou d’établir une échelle de valeurs.
- L’analyse sémantique en composants noyaux (l’analogie générale, les traits fixant « la constante notionnelle ») et l’ajout de nuances ou d’acceptions particulières, justifieraient l’existence de mots différents ainsi que l’impossibilité pour une langue de n’avoir aucun synonyme, ni de présenter des cas de synonymes absolus (c’est-à-dire interchangeables dans tous les contextes).
3.1. Présentation des fiches
Les fiches suivantes décrivent chaque terme sur des rubriques donnant l’information sur le terme, sur la notion et sur la relation entre le terme et la notion.
Fiche 1
Vedette | Blatte |
Catégorie grammaticale | Nom féminin singulier |
Domaine | Entomologie |
Synonyme | Cafard, cancrelat, coquerelle, ravet. |
Définition | La blatte est un insecte nuisible de taille assez grande (jusqu’à 10 cm pour les plus grosses dans le monde), celle que l’on retrouve le plus souvent en France fait quelques centimètres. La blatte possède un corps de forme ovale et aplati, deux antennes sur sa tête, de grands yeux et une pièce buccale pouvant broyer différents matériaux de son environnement. |
Source de la définition | DKM Expert : https://www.dkmexperts.fr/ |
Contexte | Si l’on offre à un groupe de 50 cafards, 3 abris assez grands pour contenir plus de 50 individus, tous se mettent ensemble dans un des abris. En présence d’abris plus petits, où ne peuvent rentrer que 40 individus, le groupe se scinde et occupe deux abris, à raison de 25 blattes dans chacun. |
Source du contexte | Alain Fraval http://insectes.xyz/pdf/i173-fraval1.pdf |
Equivalent | |
Synonyme de l’équivalent | |
Contexte de l’équivalent | |
Source contexte de l’équivalent | |
Définition de l’équivalent | |
Source de l’équivalent | |
Note linguistique | Terme simple |
Note technique | Insectes de forme ovale, plats, assez grands, aux 6 pattes longues généralement épineuses et grêles, égales. Les pièces buccales sont du type broyeur « classique », en position hypognathe (dirigées vers le bas) ; les antennes en fouet mince comportent jusqu’à 100 articles. Le pronotum recouvre la tête (relativement petite), voire tout le thorax. Les deux paires d’ailes (souvent absentes ou réduites) sont différentes : les antérieures plus rigides (tegmina) protègent les postérieures, membraneuses, posées à plat sur l’abdomen au repos (en général). L’abdomen est très aplati dorso-ventralement ; des glandes répugnatoires s’ouvrent sur ses tergites ; il porte une paire de cerques courts, plats et segmentés à son extrémité. Les blattes copulent en opposition. L’appareil copulateur mâle est asymétrique et très compliqué. Sinon, l’anatomie « classique » de la blatte est enseignée (dans ses grandes lignes) par les dissections scolaires. Les œufs des blattes sont pondus dans une oothèque collective sécrétée par les glandes collétériques, que la femelle « promène » au bout de son abdomen ou qu’elle colle à un support. Le développement est progressif (hétérométabole) avec, en général, 5 à 7 mues. |
Source de la note technique | Alain Fraval http://insectes.xyz/pdf/i173-fraval1.pdf |
Illustration | https://www.produit-antinuisible.com |
Fiche 2
Vedette | Cafard |
Catégorie grammaticale | Nom masculin singulier |
Domaine | Entomologie |
Variante | |
Synonyme | Blatte, cancrelat, coquerelle, ravet. |
Définition | Insectes rampants qui visitent les poubelles, se promènent partout dans la cuisine, sur les assiettes, les couverts, les plans de travail et y laissent leurs excréments. |
Source de la définition | https://www.guidebatimentdurable.brussels |
Contexte | Les cafards s’abritent dans les fissures et les recoins sombres
chauds et humides. |
Source du contexte | https://www.guidebatimentdurable.brussels |
Note linguistique | « cafard » Dérivé de l’arabe kafir. Son équivalent franchisé est « cafre » |
Note technique | Ils fuient la lumière d’où une activité essentiellement nocturne. Ils ont besoin du contact avec les surfaces pour se déplacer. C’est pourquoi ils longent les obstacles, ce qui leur permet de s’infiltrer dans les moindres fissures, fentes et interstices pour parvenir à leur fin : la recherche incessante de nourriture. Leur durée de vie est d’une centaine de jours (selon les espèces) et une femelle pond une trentaine d’œufs (qu’elle garde dans un sac jusqu’à l’éclosion des nymphes) au cours de chacun des 2 à 3 cycles de ponte de sa vie. Il faut 60 jours à la nymphe pour devenir adulte. Elle se déplace et se nourrit tout comme les adultes, au point qu’une population de cafards à un moment donné peut comporter 20% d’adultes et 80% de nymphes. Une chose est sûre : dès l’apparition ou à la vue d’un seul cafard, il faut agir sous peine d’invasion. |
Source note technique | https://www.guidebatimentdurable.brussels |
Illustration | https://www.produit-antinuisible.com |
3.2. Discussion sur l’usage des termes
Dans la littérature, blatte et cafard sont des synonymes. Par ailleurs, certaines propriétés définitoires de la synonymie proposées par C. Masseron (2009) le confirment. De leur analyse socioterminologique il ressort : une différence de registre. Ce qui se ressent à travers les rubriques définitions et notes techniques aux niveaux des fiches. Bien qu’étant des synonymes, l’information n’est pas donnée de la même manière. Les informations relatives à la fiche 1 sont purement du domaine technique, contrairement à la fiche 2 où l’information est diluée. Cette différence de registre permet de faire ressortir toutes charges connotatives et dénotatives que véhicule chacun des termes.
Blatte est un terme scientifique utilisé en entomologie. Par contre cafard est un terme utilisé dans le langage courant. C’est un emprunt d’origine arabe issu de l’étymon kafir. Linguistiquement kafir vient du verbe kafara qui signifie « couvrir/cacher ». Ce terme renvoie à la nuit et au cultivateur. La nuit, lorsqu’elle tombe couvre toute chose de son obscurité. Quant au cultivateur, de par son activité, couvre les grains avec de la terre ; il les cache sous terre. Dans l’usage courant, le terme a une connotation religieuse renvoyant à la mécréance, l’ingratitude, l’infidélité, l’incroyance religieuse. Ce qui renvoie à cafre en français. Cafre et cafard sont donc des mots de la même famille. Ce qui nous amène à comprendre toute la connotation péjorative (répugnance) liée au terme cafard à travers les expressions :
Avoir le cafard : être triste ; avoir des idées noires.
Cafarder ou faire le cafard : être déprimé.
Cafardeux : qui donne le cafard ; quelque chose de déprimant.
Ces types d’expressions ne sont pas possibles avec le terme « blatte » ; ce qui montre que c’est un terme technique réservé au domaine scientifique.
- Conclusion
L’analyse socioterminologique des termes « blatte et cafard » à travers deux fiches comportant quinze (15) rubriques chacune montre que ce sont des synonymes. Cependant, ils relèvent de registres différents. A travers cette différence de registre, il ressort que blatte est d’usage technique. C’est un terme issu du domaine spécialisé. Par contre, cafard est un terme courant. Un emprunt à l’arabe. Il véhicule une connotation péjorative que nous avons tentée de faire ressortir à travers ces différents usages : dans le domaine religieux (mécréance, ingratitude, infidélité, incroyance, insoumission), la perception que les uns et les autres ont de l’insecte (répugnance, envahissement, insalubre, maladies), son usage dans les expressions (tristesse, dépression).
Bibliographie
DIALLO Asséta, (2020). « Description terminologique « anndal tayka », manuel d’enseignement des sciences de la vie et de la terre en fulfulde », Les Cahiers du CERLESHS, Numéro spécial, Presses Universitaires de Ouagadougou, pp. 193 à 206
DIALLO Asséta, (2018), Terminologie français-fulfulde des sciences de la vie et de la terre. Thèse de doctorat unique, Ouagadougou, Université Ouaga 1, Pr Joseph Ki-Zerbo.
GAUDIN, François. (2003). Socioterminologie : une approche sociolinguistique de la terminologie. Bruxelles. Duculot. 286 p.
LECOLLE, Michelle (2009). « De la synonymie, vue à travers les emplois des mots synonymes, synonymie et synonymique dans les textes ». Pratiques Linguistique, littérature, didactique N° 141/142. pp. 121-137
MASSERON, Caroline (2009). « Présentation. Les paradoxes de la synonymie. » Pratiques Linguistique, littérature, didactique N° 141/142. pp. 3-8
HOSTACHY, Pascal. https://www.projet-voltaire.fr/origines/expression-avoir-le-cafard.