
SAWADOGO Alimata, Institut des Sciences des Sociétés/Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, alimatasawadogo88@gmail.com
Résumé
Cette recherche analyse la transmission des valeurs culturelles dans l’éducation des enfants. Une approche mixte incluant le quantitatif et le qualitatif a été privilégiée. Les données collectées auprès des parents, des élèves et des enseignants révèlent que les parents transmettent encore diverses valeurs culturelles moaga à leurs enfants, bien que cela soit fait de manière informelle et contextuelle.
Introduction
L’éducation des enfants constitue un pilier fondamental de la transmission sociale. Dans ce processus, les valeurs culturelles jouent un rôle capital, car elles orientent les comportements, les représentations et les choix des individus au sein de la communauté (Durkheim, 1922). En Afrique subsaharienne et au Burkina en particulier, la famille reste le premier cadre où l’enfant apprend les premières bases de la socialisation. C’est dans cet espace qu’il apprend les repères essentiels tels que le respect des ainés, la solidarité, la tolérance et l’honnêteté (N’Dri, 2011 ; Ouédraogo, 2017). Toutefois, sous l’effet de la modernisation, des mutations sociales et culturelles, des migrations et des médias, cette transmission n’est pas figée. Certaines de ces valeurs sont aujourd’hui délaissées, au profit de pratiques éducatives nouvelles, parfois en rupture avec la tradition (Konaté, 2015).
La présente étude s’intéresse à l’utilisation des valeurs culturelles moaga dans l’éducation des enfants et à l’identification des principales valeurs transmises.
Pour ce faire, l’étude aborde d’une part la démarche méthodologique utilisée à savoir la technique et les outils de collectes des informations. D’autre part elle expose les résultats obtenus à l’issue de la collecte des données.
- Méthodologie
Cet article de vulgarisation est tiré de notre article scientifique intitulé « L’éducation de l’enfant à travers les valeurs cultuelles moaga et l’incivisme en milieu scolaire » publié en décembre 2024 dans les Actes du colloque international sur Savoirs locaux et développement durable en Afrique.
L’étude s’est déroulée dans la province du Kadiogo et a concerné deux établissements scolaires : l’école Malaika’S Garden et l’école primaire de Kouba, située à proximité de Ouagadougou. Il s’est agi d’une démarche mixte, combinant l’approche quantitative et celle qualitative. Le questionnaire et le guide d’entretien sont les outils qui nous ont servi dans la collecte des données.
Le guide d’entretien semi-dirigé a été soumis aux parents et des questionnaires ont été adressés aux enseignants et aux élèves. Ces outils avaient pour objectif de vérifier si les parents transmettent effectivement des valeurs culturelles moaga à leurs enfants et d’identifier la nature de ces valeurs
86 personnes au total ont pris part à cette enquête dont 60 élèves (30 par école), 20 parents et 6 enseignants. Les élèves provenaient de trois niveaux scolaires (CE2, CM1 et CM2).
2. Résultats
2.1 L’intégration des valeurs culturelles dans l’éducation des enfants
Dans ce point il était question de savoir si les parents intègrent les valeurs culturelles moaga dans l’éducation de leurs enfants. Les données collectes auprès des parents montrent que la majorité les intègrent. Certains affirment qu’il s’agit même de l’essence de l’éducation. C’est l’exemple de cet enquêté : « on a été éduqué comme ça. Il faut qu’on transmette ça à nos enfants ». Pour d’autres, éduquer un enfant sans recourir aux valeurs culturelles équivaut à ne pas lui donner d’éducation : : « si je ne lui transmets pas ces valeurs c’est quelle éducation je vais lui donner ? L’’éducation de l’enfant se résume à lui transmettre ça ». Il ressort également que les parents de l’école de Kouba apparaissent les plus attachés à cette pratique.
Cependant, une minorité des répondants déclarent ne pas intégrer ces valeurs ou les intègrent peu. Pour ces personnes, il ressort qu’ils ne le font pas assez parce que non seulement eux-mêmes n’ont pas eu l’occasion d’en apprendre beaucoup mais aussi parce qu’ils trouvent que certaines pratiques sont désormais dépassées et ne correspondent plus aux réalités actuelles. Ils jugent par exemple dépassée l’interdiction faite aux enfants de consommer des œufs. Un parent enquêté laisse entendre qu’on interdisait les enfants de manger les œufs de peur qu’ils ne volent. Une chose qu’ils ne font plus parce que les œufs sont un aliment nutritif qui contribue à la croissance de l’enfant. Nous sommes tout à fait d’accord avec les enquêtés lorsqu’ils disent que certaines valeurs sont dépassées. Interdire de donner des œufs à un enfant sous prétexte qu’il n’acquerra pas le langage ou qu’il deviendra un voleur n’est pas scientifiquement prouvé. Au contraire les œufs sont un aliment nourrissant et conseillé pour la bonne croissance des enfants.
De même, d’anciens interdits liés à la bagarre et à la riposte sont trouvés comme obsolète. Une mère enquêtée confie : « nos parents nous disait souvent de ne pas chercher les bagarres et même si un enfant nous provoque ou nous tape de ne pas répliquer que ce n’est pas bon. Mais actuellement nous on fait plus ça. Il m’arrive une fois en passant de dire à mon enfant de ne plus frapper les enfants. Mais c’est lorsqu’une situation se présente et je vois qu’il n’aurait pas dû. Mais insister pour que cela soit une valeur je ne le fais pas. Nous les mamans souvent tu es contente lorsque dans ton quartier c’est ton enfant qui moyen les autres et qui les frappe. » Il ressort clairement, qu’à l’inverse de ce qui était prôné, certains parents encouragent leurs enfants à se défendre.
En parlant des valeurs prévalant dans le milieu professionnel, Kohn reprit par C. Montandon & S. Sapru (2002) font ressortir que les parents éduquent leurs enfants à travers des valeurs qu’ils ont eux-mêmes apprises ou adoptent dans leur milieu de vie. Ils transmettent ces valeurs à leurs enfants soient directement à travers les interactions verbales, soit indirectement par le biais de méthodes pédagogiques préférées. Ces diverses manières de transmission des valeurs confortent les points de vue de nos enquêtés lorsqu’ils affirment qu’ils parlent directement à leurs enfants ou leur font savoir par des techniques non verbales ou par des punitions.
Les enfants interrogés déclarent dans une proportion limitée (environ 20%) avoir reçu au moins 15 des 20 valeurs que nous leur avons présentées. Un seuil que nous avons retenu pour considérer qu’un enfant a effectivement été éduqué dans les valeurs culturelles. Toutefois, tous les enfants ont mentionné avoir reçu certaines valeurs, même si le nombre relevé demeure restreint.
2.2. Les différentes valeurs culturelles transmises aux enfants
Le tableau ci-dessous synthétise les différentes valeurs culturelles mentionnées par les parents.
- Tableau 1 : les différentes valeurs culturelles utilisées par les parents
Les différentes valeurs culturelles utilisées | |
Ne pas écouter les conversations des adultes | Ne pas taper ou insulter quelqu’un |
Ne pas regarder une grande personne en le saluant | S’excuser lorsqu’on a tort |
Ne pas bouder une grande personne | Être tolérant et pardonner |
Ne pas convoiter la nourriture d’un étranger qui mange | Ne pas prendre quelque chose qu’on lui donne avec la main gauche |
Ne pas voler | Venir en aide à autrui |
Ne pas mentir | Être patient |
Ne pas chercher les bagarres | Vouvoyer les grandes personnes |
Aimer autrui | Être une personne de parole |
Être généreux | Être sociable |
Être solidaire |
Source : enquête terrain mai-juin 2023
Ces valeurs bien que diversifiées présentent des similitudes entre les différentes familles, montrant leur caractère collectif et partagé au sein de la société moaga. Ces valeurs sont transmises à l’enfant à tout moment. Leur transmission ne se fait pas dans un cadre formel ou planifié. Les parents confient qu’ils inculquent ces valeurs à leurs enfants au gré des situations quotidiennes. Chaque situation qui se présente est une occasion pour eux d’éduquer leurs enfants. L’un d’eux précise que ses enfants savent qu’ils ne doivent pas rester à ses côtés lorsqu’il reçoit une visite ou discute avec quelqu’un. Si l’un de ses enfants s’installe à proximité pendant qu’il est en compagnie d’un visiteur ou de tout autre personne, il lui rappelle aussitôt que les enfants ne doivent pas écouter les conversations des grandes personnes. Selon lui, c’est à travers ces petites occasions qu’il parvient à faire passer le message. Un autre parent insiste sur la complémentarité de l’éducation familiale dans le développement futur de l’enfant en ces termes : « L’enseignant seul ne peut pas bien éduquer tous les enfants parce qu’ils sont nombreux. C’est à nous parents de les accompagner dans ça. Tous mes enfants savent ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils ne doivent pas faire. »
Ces différentes valeurs transmises aux enfants ne sont pas nouvelles car elles rentrent dans celles décrites par WATHI (2017). Dans son étude, WATHI les a classées en deux groupes : valeurs personnelles ou individuelles et valeurs collectives (en famille et en société). Le constat qui se dégage ici est la ressemblance entre les valeurs culturelles et celles modernes. Comment faire la part des choses ? En réalité de nos jours, les deux valeurs s’imbriquent entre elles qu’il est difficile de les dissocier. Mais il existe une différence sinon une contradiction à certains niveaux. Les encadreurs et les parents ne s’appuient pas sur les mêmes éléments pour inculquer les valeurs aux enfants. Ce qui est conseillé chez l’un peut être déconseillé chez l’autre. Par exemple pour apprendre le respect à l’enfant, les parents lui diront entre autres « on ne fixe pas des yeux une grande personne lorsqu’on la salue ». Or, à l’école par exemple on encourage les enfants à regarder la personne qu’il salue sinon cela est considéré comme un signe de manque de respect.
Conclusion
Au terme de cette étude, il ressort que les valeurs culturelles occupent encore une place fondamentale dans l’éducation des enfants. Toutefois, leur transmission connait aujourd’hui un certain nombre de mutations. La grande majorité des parents interrogés mentionnent les intégrer dans l’éducation de leurs enfants, précisant qu’elles constituent l’essence même de l’éducation. Cependant, une petite proportion estime que certaines valeurs culturelles sont dépassées et ne répondent plus aux réalités actuelles. Pour cela elles ne les inculquent pas à leurs enfants. Ce qui révèle une tension entre tradition et modernité.
Les données révèlent également que ces valeurs sont transmises aux enfants de manière diffuse et contextuelles, à travers les opportunités qui se présentent. Les principales valeurs telles que le respect des aînés, la solidarité, la patience, l’honnêteté ou encore l’entraide constituent des valeurs partagées par l’ensemble des familles enquêtées malgré les différences sociales et géographiques. Cette similitude traduit le caractère collectif des valeurs dans la société moaga. Toutefois, des contradictions ont été relevées entre certaines valeurs transmises en famille et celles valorisées à l’école.
Pour terminer, notons que la transmission des valeurs culturelles demeure un élément très important dans l’éducation et la socialisation des enfants. Elle contribue à forger des comportements civiques et responsables, gage d’un vivre ensemble harmonieux. Toutefois, les mutations sociales actuelles imposent une redéfinition de ces valeurs afin de concilier héritage culturel et réalités du monde actuel.
Bibliographie
DURKHEIM Émile (1922). Éducation et sociologie. Paris : PUF ;
KONATÉ Drissa (2015). Jeunesse, culture et modernité en Afrique. Dakar : Codesria ;
MONTANDON Cléopâtre et SAPRU Saloni, 2002, « L’étude de l’éducation dans le cadre familial et l’apport des approches interculturelles ». Dans : Pierre Dasen éd., Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation (pp. 125-145). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.dasen.2002.01.0125 ;
N’DRI Arsène (2011). Éducation et valeurs culturelles en Afrique. Abidjan : Éditions CEDA ;
OUÉDRAOGO Moussa (2017). Famille, socialisation et transmission des valeurs au Burkina Faso. Ouagadougou : Presses universitaires ;
SAWADOGO Alimata, 2024, « L’éducation de l’enfant à travers les valeurs culturelles moaga et l’incivisme en milieu scolaire », Actes de colloque international sur les Savoirs locaux et développement durable en Afrique ;
WATHI, 2017, « Quelles sont les valeurs africaines aujourd’hui ? » Mataki | Numéro 5, www.wathi.org.