Ibraogo KABORE
Université Joseph KI-ZERBO
Département de Lettres modernes
DRABO Amba Victorine
Chargé de recherches
Institut des sciences des sociétés (INSS)
Centre national de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) Burkina-Faso
Titre: Construction du sens dans l’infographie
Résumé : Ce travail est inspiré d’un article scientifique qui analyse la construction d’un monde idyllique, idéal animé par des acteurs présentant un certain idéal vis-à-vis de leur physique, à travers les visuels publicitaires dans l’espace urbain de la ville de Ouagadougou.
Corporellement, elle fait miroiter un teint, des artifices, des gestes, etc. idéaux par des paraîtres virtuels qui trouvent un écho au(x) fantasme(s) d’un certain nombre de contemporains. Elle le fait en alimentant la rêverie mais également en donnant l’impression que c’est un niveau de perfectionnement accessible par le corps humain. Cette perfection du corps virtuel surfe en réalité sur le désir de plus en plus grandissant des contemporains à plaire physiquement. Le type de corps valorisé, idéalisé configure alors un univers identitaire qui unit ceux qui y aspirent, les adeptes de la mode et exclut ceux qui ne s’y inscrivent pas.
- Introduction
Le « dasein » est un « mitsein »: « l’être-là » est un « être-avec ». Ainsi, se caractérise, entre autres, l’être humain. Une telle appréhension met en vedette le caractère individuel et social de l’humain.
Ce dernier, en tant qu’individu, est moulé congénitalement dans une collectivité indépendamment de son vouloir où il se socialise en se réalisant. Il se réalise en faisant sien, les us, coutumes et valeurs de sa collectivité. Il se matérialise à terme une rationalité commune à l’échelle de tous les membres de la collectivité. Toutefois, des données telles l’instruction, le développement des goûts, les projets de vie, le militantisme, les voyages, etc. conduisent à la configuration d’autres identités au niveau individuel : identités additives. L’individu devient alors un individu à plusieurs identités : l’identité à marque de fabrique familiale, communautaire restreinte, conjointe à des identités additives forgées par le rapport de l’individu au monde extérieur ou influences extérieures, au monde extra familial. Si celle d’obédience familiale le rapproche indéniablement des membres de sa collectivité primaire, celles forgées sur la base des influences extérieures peuvent l’en éloigner et le rapprocher d’autres communautés pouvant être réelles, virtuelles, etc. On parlera alors d’univers identitaire(s) ou plus exactement de positionnement(s) identitaire(s) se construisant sur la base de la rationalité commune, des goûts et des aspirations communs et éclatant l’espace et parfois le temps. La rationalité relève par essence de l’ordre de l’intelligibilité. Toutefois, elle se manifeste régulièrement sous plusieurs facettes. Ce qui permet aux individus d’un même positionnement identitaire de se reconnaître, de s’apprécier, de se rapprocher, de nouer des contacts, etc. Un des supports, voire espaces de matérialisation de la rationalité commune est le corps humain aussi bien réel que virtuel. Le corps humain virtuel, généralement figé spatialement et en position vedette, en l’occurrence, aux abords des routes urbaines, retiendra tout particulièrement notre attention.
2. Méthodologie
Théoriquement, cet article s’inscrit dans la sémio-pragmatique telle que développée par R. Odin. Elle fait figure d’une approche théorique englobant deux niveaux de structuration fondés d’une part sur les traces textuelles du « vouloir-dire » (Odin Roge ,2000) du destinateur et d’autre part sur l’expérience interprétative du lecteur en lien avec ses connaissances encyclopédiques.
On le voit, la sémio-pragmatique est à la fois une approche immanente et extravertie : elle permet de cerner l’objet dans sa configuration interne et via le regard et l’expérience exégétique du public, en l’occurrence, le lecteur et\ou l’analyste. Toute chose qui est censée permettre une analyse plus aboutie de l’objet d’étude et qui, par conséquent, justifie le choix de la théorie sémio-pragmatique dans le cadre de cette étude.
Prenant assise sur la sémio-pragmatique et s’intéressant à la matérialisation de la rationalité partagée sur le corps humain virtuel, ce travail est axé sur un certain nombre d’hypothèses :
-Le corps humain virtuel configure un paraître qui trouve un écho aux fantasmes d’un certain nombre de contemporains ;
– Ce corps tient lieu d’espace de matérialisation promotionnelle des valeurs suscitant un engouement populaire ;
– Il offre un paraître à effet cathartique de compensation-sublimation pour les aspirants ou adeptes d’un certain nombre d’univers identitaires donné(s).
3. Résultats
À l’issue de l’analyse, nous présentons les résultats en deux points.
3.1. Aspectualisation des visuels commerciaux observés sur le terrain
Les visuels virtuels commerciaux se donnant à voir le long des voies de la ville de Ouagadougou sont multi aspectuels. Tantôt, l’image virtuelle offerte à la vue se limite à la tête et met en vedette le visage, les cheveux tressés ou coiffés, la barbe délimitée, un regard, une humeur, le maquillage, etc.
Lorsque c’est le visage qui est mis en emphase, l’accent est souvent particulièrement mis sur le teint qui est quelquefois noir, bronzé ou clair. Un des invariants qui s’observe quel que soit la couleur est que le teint est toujours de très grande qualité, hyper reluisant et dépourvu de taches.
Il y a aussi qu’au niveau du visage, la primeur est souvent donnée aux cheveux. Ils paraissent tressés, coiffés ou offerts à voir dans toute leur longueur. Quand ils sont tressés, le focus est généralement mis sur la qualité, l’ingéniosité de la tresse. La tresse est amplement montrée dans son esthétique et sa qualité. Le choix porte pour l’essentiel des cas sur des tresses en vogue. Il en est de même pour les cheveux coiffés ou les barbes limitées. C’est-à-dire que l’accent est généralement porté sur le caractère contemporain de la coiffure et sa qualité. Idem pour la barbe délimitée.
Parlant toujours de la tête, il arrive que c’est le regard, le maquillage ou l’humeur qui fasse l’objet de focalisation. Dans ce cas, le maquillage se met au service du teint dont il amplifie facticement la beauté. Le regard, lui est souvent manifestement au service de l’esthétique d’ensemble. Il se départit de la vulgarité, se montre séduisant et plaisant. En cela, la bonne humeur s’érige en complément pour l’essentiel des cas.
L’analyse précédente s’est inscrite dans la limite de la tête. Cependant, l’offre visuelle virtuelle peut porter sur le corps dans toute sa longueur. Dans ce cas, elle présente le corps, de face, de profile ou de dos. Ici, c’est souvent le teint qui est mis en avant, par moment, la tenue vestimentaire portée, ailleurs des artifices divers. Il arrive que ce soit la démarche, la gestuelle, la robustesse, etc. qui sont mises en vue.
Dans une telle configuration, la sveltesse gouverne souvent l’intentionnalité : le corps est donné à voir dans tout son étalement, dans toute sa longueur. Essentiellement nu, il met en exergue le teint et son éclat. Ce peut être sa douceur. Couvert, c’est la tenue vestimentaire qui est par moment mise en vedette. Elle est dans ce cas appréhendée à l’essai sur un corps virtuel et soumis en quelque sorte à l’appréciation du public. Soumise à l’appréciation dans sa qualité, celle de sa couture et des mesures prises pour la couture.
La primeur peut être accordée aux artifices d’ordre divers : la chaine portée au cou, les bagues enfilées au(x) doigt(s), la paire de chaussures portée, etc. et ce, en solidarité esthético-sémantique avec les éléments ci-dessus analysés. La paire de chaussure portée est souvent en vogue, appréciée positivement et de belle facture. La chaine est souvent longue et rappelle les zélateurs du hip-hop américain. Par moment, elle est courte. Un des universaux ici, est que, dans l’un ou l’autre cas, elle est généralement manifestement de qualité supérieure. Il en est de même pour les bagues qui sont de grande qualité et allant souvent au-delà du nombre un.
La démarche, la gestuelle et la robustesse sont souvent accentuées. Il est des cas où la démarche donnée à voir est majestueuse, c’est-à-dire qu’elle a un caractère auguste imprimant le respect et l’admiration. Par moments, elle est très rythmée, athlétique. Il y a enfin des offres visuelles où le personnage mis en exergue est en train de courir sur une surface plane ou en train de gravir des sortes d’escaliers.
La gestuelle s’inscrit dans cette optique. Elle renferme plusieurs dimensions. Depuis la posture des lèvres pendant un rire ou un sourire jusqu’aux balancements de bras en passant par la façon de s’y prendre pour serrer la main à son vis-à-vis en guise de salutation, de se mettre les bras dessus dessous, de manifester une émotion via les bras, d’indexer un objet ou l’horizon. Elle concerne aussi le sautillement ludique ou sportif. Enfin, elle prend en compte l’ouverture, l’écarquillement de la bouche pour crier d’émotion.
3.2. Les enjeux stratégiques fondamentaux
Les enjeux stratégiques émanant des différentes configurations précédentes sont nombreux et variés. Il se dégage, en rappel, deux méga configurations. D’une part, il y a des visuels ne donnant à voir que la tête du personnage, se limitant à cette dernière. D’autre part, il se présente des visuels montrant le personnage dans toute sa longueur, de face, de profil ou de dos.
S’agissant des visuels mettant en exergue la tête, l’analyse a donné à voir entre autres que focus est souvent fait sur le visage. Dans un tel cas, c’est le teint du visage qui est souvent visé en toile de fond notamment sa qualité. Il est généralement donné à voir un teint de grande qualité : éclatant, rafraichi et donc un teint qui n’est ni terne ni décoloré. Un teint à ravir. Généralement, dans un tel cas de figure, le miroitement du teint est au service d’un produit ou d’une marque commerciale. Un pareil cas de figure articule une stratégie commerciale qui est d’inciter le public intéressé par un tel univers des valeurs à l’achat des produits vantés via la qualité de teint donné à voir. Le message est que toute personne a le pouvoir-faire de se conjoindre du teint miroité ; il suffit pour l’intéressé de s’acheter les produits censés matérialiser cette conjonction. Ce faisant, c’est la promotion du produit, de l’article en vente qui est faite avec une force persuasive.
La focalisation sur le buste et particulièrement la tête peut aussi avoir pour objectif d’attirer les projecteurs sur une tresse ou une coiffure donnée. Ainsi, la tresse ou la coiffure est donnée à voir dans les détails. Elle est montrée dans son ingéniosité et son esthétique. C’est généralement une coiffure ou une tresse en vogue. Ces icones sont souvent placés à la devanture d’un atelier de coiffure ou de tresse. Ils sont dans certains cas apposés à la maison de tresse ou de coiffure. Parfois, ils se situent précisément au fronton de cette dernière. Il est des cas où ils figurent en position drapeau appliqués au mur de la maison. Ils apparaissent enfin en position drapeau fixés au bord de la voie publique en face de la maison dont ils émanent. Ici encore, le paraître qualitatif offert à la vue met au-devant de la scène une stratégie commerciale : celle incitant à se faire coiffer ou tresser chez la personne propriétaire du visuel. L’insinuation est que l’expertise mise au service de la tresse ou de la coiffure sur le visuel émane de la maison de commerce qu’il promeut. S’y rendre pour se coiffer ou se tresser, c’est s’assurer d’un service de qualité. En toile de fond, c’est donc une stratégie markéting visant à inciter à la consommation : se faire coiffer ou tresser.
Nous avons eu à observer de tels visuels implantés en position drapeau au bord de la voie publique devant des restaurants-bars et des maisons de vente de produits cosmétiques. Ici, ce sont pour la plupart des cas des signalétiques matérialisant un buste féminin avec une tête féminine soigneusement tressée, éclatante. Dans ces deux derniers cas, la stratégie exploite l’image féminine connotant la beauté, la séduction, l’attractivité, etc. Au niveau des restaurants-bars, il est prôné envers les clients un accueil chaleureux, un espace enchanteur avec du personnel à leurs soins et à leur écoute. Pour ce qui est des maisons de vente de produits cosmétiques, le public-cible est clairement défini : les femmes adeptes du teint éclatant et des cheveux luxueusement entretenus. Stratégiquement, les restaurants-bars exhortent les clients à faire le choix de leurs locaux et de leurs services offerts : la boisson et la nourriture. La même stratégie se retrouve chez les vendeurs de produits cosmétiques. Ici, on tend à faire croire aux clientes que les produits vendus dans leurs magasins conduisent à une beauté et à un fond de teint semblables à ceux manifestés par le visuel. La stratégie mise en branle est donc l’exhortation au choix et à l’achat des produits du magasin auquel le visuel est arrimé.
4. Conclusion
L’être humain est un être extraverti, c’est-à-dire tourné vers autrui. Dans cette perspective, il devient un être d’influence au sens actif et passif du terme. Cette compétence est souvent utilisée à des fins idéologiques, professionnelles, etc. par certains. Ils font miroiter un monde, un univers idyllique accessible à tous comme une réponse aux insatisfactions de l’humain dans la vie. Ainsi, corporellement, il est souvent brandi un teint, des artifices, des gestes, etc. idéaux par des paraîtres virtuels qui trouvent un écho au(x) fantasme(s) d’un certain nombre de contemporains. Et ce, en alimentant la rêverie mais également en donnant l’impression que c’est un niveau de perfectionnement accessible humainement.
Cette perfection du corps virtuel surfe en réalité sur le désir de plus en plus grandissant des contemporains à plaire physiquement. Le type de corps valorisé, idéalisé configure alors un univers identitaire qui unit ceux qui y aspirent, les adeptes de la mode et exclut ceux qui ne s’y inscrivent pas. Ce faire, apanage de l’infographie entre autres, s’avère en toile de fond une stratégie d’incitation à des performances intéressées diverses : faire acheter, faire adhérer à une idéologie, etc.
5. Références bibliographiques
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KABORE Ibraogo et DRABO Amba Victorine, 2025, Construction du sens dans l’infographie, in journal of xidian university, november 2025, ISSN 1001- 2400.
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