DRABO Amba Victorine
Chargé de recherches
Institut des sciences des sociétés (INSS)
Centre national de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) Burkina-Faso
Titre : Analyse des actes de langage dans la nouvelle Le Magicien de Ansomwin Ignace Hien
Résumé : Cette réflexion est inspirée d’un article scientifique portant sur les actes de langage dans la nouvelle le Magicien de Ansowin Ignace HIEN. À partir de l’approche searlienne des actes de langage, nous proposons une modélisation du système intra-relationnel du récit et une réflexion sur plusieurs problématiques que pose l’analyse de ces relations. Ce système se décline sous le prisme des actes locutoires, illocutoires, et prélocutoires, via le repérage des subjectivèmes relationnels, l’identification de leurs effets, et leur articulation partant d’un sujet énonciateur particulier. D’après cette perspective, nous proposons une réflexion et une interprétation de cette nouvelle.
- Introduction
À l’opposé du roman, qui est un « débarras fourre-tout « (Schmitt, 2010), la nouvelle exige de « mesurer l’espace imparti à la description, au dialogue, à la séquence. La moindre faute d’architecture y apparaît. Les complaisances aussi » (Schmitt, 2010 : 10). Ceci contraint le nouvelliste à capter l’attention du lecteur dès le début de son œuvre, et de le maintenir captivé tout au long du récit. Dans cette perspective, le recours aux actes de langage est capital pour les auteurs. En effet, les actes de langage ont plusieurs buts, notamment communiquer, influencer, créer des relations, régler des conflits et exprimer des émotions dans une œuvre littéraire. Ils sont essentiels pour la compréhension mutuelle, les relations sociales et la résolution de conflits. Cet article vise à repérer les types d’actes de langage utilisés dans la nouvelle Le Magicien, et de montrer comment ils contribuent à la création d’une atmosphère spécifique. Il sera aussi question de voir comment ces actes de langage révèlent la personnalité, les motivations, les émotions des personnages, et de montrer leur rôle tout au long du récit et comment ils influencent les péripéties.
2. Méthodologie
Le cadre théorique mobilisé pour notre étude est celui de la théorie des actes de langage de John Searle. Pour rappel, la théorie des actes de langage de John Searle est une approche qui explore la nature du langage et de la communication. Elle met en exergue la compréhension des actes de langage et leurs conditions de félicité pour une communication efficace. Cette réflexion ancrée dans les sciences du langage évoque aussi la pluridisciplinarité et se positionne entre la littérature, la philosophie du langage, la linguistique, la sociologie et enfin la communication.
3. Résultats
À l’issue de l’analyse, nous présentons les résultats en cinq points.
3.1. Les actes Les assertifs
Les actes assertifs sont des actes illocutoires qui visent à décrire un état de choses ou à faire une affirmation sur le monde. Par exemple, dans le déroulement de cette nouvelle, l’auteur dit : « Le soleil était assez haut, mais pâle, ses rayons ne mordaient pas encore la peau » (page 34). Les assertifs ont pour fonction de transmettre des informations ou de décrire des faits. Partant de là, l’on peut aisément déduire que, dans ce segment de texte, le nouvelliste décrit l’atmosphère en indiquant que la température était douce et que le moment où se déroule la scène est 10h du matin. Ce bout de texte est de nature descriptif. Il peut aussi avoir des assertifs de nature affirmative, ou encore à faire un rapport. En effet, les illocutoires assertifs sont utilisés pour communiquer des informations ou pour décrire des faits. À l’entame du paragraphe 2 de la page 27, il est dit : « Pendant des mois, Yokil goûta à nouveau à la vie villageoise. Il s’en imprégna, s’en laissa vivre ». À travers ces deux phrases, l’auteur met en exergue la reconnexion que le personnage de Yokil entame avec sa terre natale. Une terre qu’il a quittée depuis des lustres.
Si les actes illocutoires assertifs visent à représenter l’état du monde, à décrire une situation ou à exprimer une opinion, les actes illocutoires directifs, quant à eux, visent à influencer le comportement de l’interlocuteur, à lui demander de faire quelque chose ou à lui donner des instructions.
3.2. Les actes directifs
Les directifs sont des actes illocutoires qui visent à influencer le comportement de l’auditeur ou à lui donner une instruction. Les directifs ont pour fonction de diriger l’action de l’auditeur ou de lui donner des instructions. Précisément, les directifs : « constituent le complément des actes promissifs, ayant pour but illocutoire de mettre l’interlocuteur dans l’obligation de réaliser une action future. Ce sont les seuls actes marqués par des modes verbaux ou des modalités phrastiques spécifiques. En réalité, en englobant tant les ordres que les questions, la classe est à nouveau très hétérogène. Le type d’obligation (communicative) qu’impose une question est différent de celui dans un ordre ; et leur comportement sous la négation est différent aussi » (Callebaut, 1994 : 5). Ainsi dit, il apparaît que les actes illocutoires directifs peuvent varier en degré d’obligation, allant de la simple suggestion à l’ordre strict. Les actes illocutoires directifs sont souvent marqués par des modes verbaux ou des modalités phrastiques spécifiques, tels que l’impératif ou l’interrogatif. Notons que les ordres et les questions sont deux types d’actes illocutoires directifs qui ont des objectifs et des fonctionnements différents. Les ordres visent à imposer une obligation directe, tandis que les questions visent à obtenir des informations ou à susciter une réponse. Le type d’obligation imposée par une question est différent de celui imposé par un ordre. Une question peut imposer une obligation de répondre, tandis qu’un ordre peut imposer une obligation d’agir. Ils peuvent être des ordres fermes, donc directifs comme c’est le cas à la page 37 de ce corpus Le magicien, un aîné ordonne à Kyi en insistant d’aller prendre le sac par ces termes : « Retourne immédiatement nous rapporter le sac ! ». Cette phrase sonne clairement comme un ordre. Ceci met en exergue le fait que les illocutoires directifs peuvent être utilisés pour établir des relations de pouvoir ou d’autorité entre les locuteurs ; en d’autres termes, l’un ordonne à l’autre en raison de son statut d’ainé. Les actes directifs peuvent aussi être de nature à formuler une demande. On a un exemple à la page 29 quand un enfant dit au magicien « Voici dix francs : prends-les et transforme-les-moi en 100 francs. Je voudrais aller m’acheter des beignets au marché ». Par cette précision, « je voudrais aller m’acheter des beignets au marché », l’enfant espère influencer le comportement de Yokil l’illusionniste afin qu’il accède à sa requête. Les actes illocutoires directifs sont souvent utilisés pour formuler des requêtes, des demandes ou des ordres. Les requêtes peuvent être formulées de manière directe ou indirecte. Les requêtes directes utilisent des formes linguistiques explicites, telles que l’impératif ou l’interrogatif, tandis que les requêtes indirectes utilisent des formes linguistiques plus implicites. Le sous-entendu de la chute de l’enfant est qu’il a faim, et donc le magicien doit l’aider dans ce sens. Les actes illocutoires directifs peuvent être utilisés ensemble pour créer des interactions sociales complexes. Par exemple, une personne peut demander à quelqu’un de faire quelque chose (acte illocutoire directif), et l’autre personne peut accepter de le faire (acte illocutoire commissif ou promissif).
3.3. Les actes promissifs
Les promissifs sont des actes illocutoires qui visent à engager le locuteur à faire quelque chose ou à prendre un engagement. Les promissifs ont pour fonction de créer une obligation ou un engagement pour le locuteur. Ils ont pour but illocutoire « l’obligation contractée par le locuteur de réaliser une action future » (Callebaut, 1994 : 193). Les illocutoires promissifs visent à engager le locuteur à faire quelque chose ou à prendre un engagement. Il peut s’agir à cet effet d’une promesse, d’un engagement, ou encore d’une garantie. Dans le cadre d’un engagement, le locuteur et même l’interlocuteur s’engagent à faire quelque chose ou à prendre une responsabilité. À de nombreux endroits, dans le corpus de cet article, l’auteur exemplifie les exigences de Yokil, comme celles des autres acteurs, très désireux de recevoir des « miracles » de la part de leur « magicien ». Surtout, par son comportement, toujours prêt à faire un exploit de plus, Yokil a habitué ses amis à recevoir de lui des prouesses. Et il se sent presque obligé de toujours « promettre » ou de faire espérer. « On finissait par se calmer et on s’apprêtait encore à savourer d’autres numéros plus intéressants » (page 28). Les enfants, habitués aux « numéros » étonnants de Yokil, se comportent mal à la suite d’un de ces exploits, ils se calment et espèrent en recevoir encore. Par ces habitudes, le magicien promet implicitement à réaliser régulièrement des choses extraordinaires. Par ailleurs, le retour de ce « sorcier » au village et le début de ses actes merveilleux ont rendu les personnes de tous les âges, accrochées à ses pratiques. « Le magicien devait user de beaucoup d’ingéniosité pour se débarrasser de tous ces marmots. Mais les adultes n’étaient pas moins agaçants » (page 29). Cette précision signifie que, outre les enfants, les adultes aussi restent suspendus à ses actions étonnantes. Plus impressionnants, tous semblaient accrochés à ses promesses tacites. « Yokil était devenu difficile à trouver libre ou seul. Aussi, lorsqu’on réussissait à mettre la main sur lui, on ne le laissait plus échapper sans avoir obtenu satisfaction » (Ibid.). Par ses fréquentes sollicitations et ses réactions positives, ce personnage a réussi à rendre les membres de ce village accros à ses prouesses. « Par ailleurs, c’était pour Yokil un apéritif que de faire apparaître du tô, de la sauce, du riz, de la viande, du poisson. Tout cela prêt à être mangé. À l’occasion de ses grandes démonstrations, il pouvait produire un paquet de vrais billets de banque. Quelqu’un voulait-il de cet argent ? Le magicien le lui proposait, dans des conditions difficiles. Par exemple, il plaçait une certaine quantité de billets dans un sac. Derechef, il disait des paroles magiques, mimait de nouveaux gestes bizarres, invitait enfin quelque intrépide à y plonger la main » (page 30).
3.4. Les actes expressifs
Les illocutoires expressifs visent à exprimer les émotions, les attitudes ou les sentiments d’un personnage, d’un émetteur à son destinataire. Les illocutoires expressifs peuvent être des félicitations, des condoléances, de la gratitude, de mea culpa, l’agacement, ou encore la confiance en soi. La confiance en soi apparaît très bien de la page 46 jusqu’à la page 47, lorsque le magicien s’adresse à l’infirmier en disant : « Dans ces conditions, mon ami, moi, je suis sûr que tu ne peux être sûr de ton affirmation. La raison en est bien simple. Dans cette chambre, nous ne sommes pas que les deux comme tu le crois. Nous sommes cinq, dont trois de mes collaborateurs invisibles, mes génies. Ils sont là et ils écoutent tes mensonges. Alors, tâche d’être franc, pour éviter d’attirer leur colère. Car, ce sont eux précisément qui ont surveillé tes moindres gestes dans l’exécution des consignes ». Ce passage laisse transparaître l’assurance, la certitude du magicien sur la qualité de son service. En effet, ce dernier recourt à certaines tournures (menaces et/ou dissuasion), telles que l’évocation de la présence de génies, pour convaincre l’infirmier de la véracité ou de la réalité de son tour de passe. Ceci met en lumière la fonction persuasive des illocutoires expressifs, car ils visent à influencer les croyances ou les attitudes de l’auditeur. L’énoncé contient des éléments expressifs, tels que la mise en garde ou la menace. Le locuteur utilise une stratégie de persuasion ou d’intimidation pour influencer le comportement de l’interlocuteur. Il affirme que trois génies invisibles sont présents et surveillent les moindres gestes de l’interlocuteur ou encore, que ces invisibles les suivent. Cette assurance, dans ces propos, crée une atmosphère de peur et de menace. En somme, les actes illocutoires expressifs visent à exprimer des émotions ou des attitudes, à communiquer des sentiments ou des opinions. En parallèle, les actes illocutoires déclaratifs visent à créer un nouvel état de choses par le simple fait de les énoncer, à déclarer quelque chose qui devient vrai par la déclaration elle-même. Dans ce sens, les expressifs s’apparentent aux assertifs, mais surtout aux déclaratifs.
3.5. Les actes déclaratifs
Les actes déclaratifs sont des actes illocutoires qui visent à créer un nouvel état de choses ou à changer le statut de quelque chose. Les actes illocutoires déclaratifs peuvent parfois comporter des éléments expressifs, tels que des émotions ou des attitudes. Ils peuvent également susciter des émotions ou des réactions chez les interlocuteurs. Ces actes jouent un rôle important dans les interactions sociales, en particulier dans les situations formelles ou officielles.
Les actes illocutoires déclaratifs nécessitent souvent une autorité ou un pouvoir pour être efficaces. Ils ont une fonction performative, car ils créent un changement dans le monde en vertu de leur énonciation. Ceux-ci peuvent être des déclarations officielles, décisions administratives, des formules des réunions formelles, ou encore les jugements judiciaires. Par exemple à la page 52, le commandant « donna ordre à un garde de faire venir le magicien à son bureau ». Ici, le commandant fait montre de son autorité.
4. Conclusion
Il ressort de cette analyse que s’interroger sur comment les actes de langage sont utilisés dans la nouvelle Le Magicien de Ansomwin Ignace Hien, c’est comprendre l’atmosphère sociale, le vécu exposé par l’auteur à travers ses personnages. Les thématiques abordées à savoir l’illusionnisme, la croyance en l’invisible, l’attachement au miracle, ou encore la cupidité des acteurs, concourent au fil de l’intrigue à durcir la relation des personnages. Les actes de langage dans cette nouvelle révèlent leur personnalité, leur subconscient, leur inconscient (individuel et collectif), leurs motivations, leurs émotions et émotivités. Le rôle des actes de langage dans la progression de l’intrigue reste celui de dévoiler les réalités sous-jacentes face aux événements et, ainsi, l’auteur fait passer les
5. Références bibliographiques
Corpus
HIEN Ansomwin Ignace, 2009.Le Magicien, in Secrets d’alcôve. Le LIS, Ouagadougou.
Autres références bibliographiques
AUSTIN John Langshaw, 1970. Quand dire c’est faire, Le Seuil, Paris.
CALLEBAUT Bruno, 1994, « La négation et les théories de l’illocutoire », Linx. Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre, 5, pp. 191-203.
DRABO Amba Victorine, 2025.Analyse des actes de langage dans la nouvelle Le Magicien de Ansomwin Ignace Hien, in Revue ASTR-GHANA, Vol 2 N° 6 October 2025, ISSN Print : 3007-9209, ISSN Online : 3007-9217.
GAUTHIER Gilles, 2019. « Éthique et rationalité. La méséthicisation du débat public », Revue française d’éthique appliquée, 7, pp. 89‑104.
GAUTHIER Gilles, 2023. « Une éthique perlocutoire du discours », Ethica, 25(1), pp. 7-29.
POE Allan Edgar, 1965, Nouvelles Histoires extraordinaires, Édition Garnier Flammarion, Paris.
SEARLE R. John, 1979, Le sens commun. Sens et expression. Étude de théorie des actes de langage, Édition de Minuit, Paris.
SEARLE R. John, 1972, Les actes de langage, Hermann, Paris.
