Etude de quelques toponymes dans la province de la Bougouriba au Burkina Faso

YOUL Palé Sié Innocent Romain

Chargé de recherche

Institut des sciences des sociétés (INSS)

Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Burkina- Faso

romainyp@yahoo.fr

Résumé

Le présent texte s’intéresse aux formes et significations de quelques toponymes de villages de la province de la Bougouriba au Burkina Faso. Grâce à l’analyse des données recueillies sur le terrain, il ressort que ces toponymes revêtent de véritables banques d’informations dont l’accès contribuerait fondamentalement à une meilleure connaissance de l’histoire de ces villages. Toutefois, il se révèle que les écritures toponymiques, des villages enquêtés, ne répondent pas aux principes de transcription desdites langues. Aussi constate-t-on une contradiction entre les données du terrain et les résultats de certains travaux antérieurs, d’où la nécessité de recherches complémentaires pour lever les contradictions constatées.

Mots-clés : Bougouriba, Burkina Faso, forme, significations, toponymes.

 

Introduction

Les toponymes établissent une relation privilégiée et forte entre l’homme et l’espace. Qu’ils se rapportent au monde rural ou au monde urbain, ils désignent des unités ou des espaces réduits, ils témoignent des langues et des cultures dans lesquels ils ont été créés et ont vécu, ils racontent l’histoire d’un territoire, ils traduisent surtout les représentations que les sociétés se font des lieux qu’elles habitent ou fréquentent.

Quant à C. Baylon et P. Fabre (1982), elle est : « La désignation des lieux habités et de l’environnement sont de précieuses informations pour comprendre l’âme d’un peuple, ses choix, comme la toponymie ressortit à la recherche ethnologique ». S’intéressant à la province de la Bougouriba, la préoccupation de la présente réflexion se résume autour de la question suivante : quelles sont les formes et significations de ses toponymes ?

Interrogation qui s’adresse, non seulement à l’autorité publique, afin qu’elle puisse avoir un regard sur la mise en mots des espaces, mais aussi aux communautés elles-mêmes pour une réappropriation de leur histoire et de leur culture.

La présente réflexion s’articule essentiellement autour de deux grands points. Le premier est consacré à la méthodologie et le second présente les résultats.

 

1- Méthodologique

Pour mener à bien notre étude, nous avons procédé par une recherche documentaire soutenue par l’observation directe et l’entretien. L’observation directe a permis de relever toutes les informations en lien avec l’objet de notre étude ; en ce qui concerne l’entretien, il nous a permis de recueillir les opinions des enquêtés afin de mieux comprendre la mise en mots des espaces. Ensuite, une analyse morphologique et sémantique du corpus s’en est suivie.

Dans un premier temps, nous faisons un classement morphologique consistant à décrire et à analyser ces toponymes sur le plan de la forme et de la structure. Ensuite, nous nous penchons sur les champs sémantiques de ces toponymes en les interprétant et en les expliquant.

2- Résultats

2-1- Présentation des toponymes

* Le village de Barindja

Traduction littérale : laisser, moi, asseoir / Traduction littéraire : laisse-moi m’installer

EN1 : « Ce nom renvoyant à laisse-moi m’asseoir, remonte au temps où les grands parents recherchaient un lieu où s’installer et qui soit favorable à leurs activités quotidiennes, notamment la pêche, la cueillette, la chasse et l’agriculture. Au cours de leur parcourt, ils ont vu un point d’eau qui a suscité une discussion. Certains préconisaient de continuer, le meilleur semblait être plus loin alors que d’autres pensaient que ce point d’eau suffirait à développer leurs activités de subsistance », d’où l’appellation « Bar n jɛ » dont la transcription a été biaisée.

* Le village de Loto 

Traduction littérale : tomber, village / Traduction littéraire : arriver à une destination (jugée favorable)

 

EN2 : « Ce village est fondé par nos ancêtres venus de l’Est du Ghana actuel. Selon l’enquêtés, initialement occupé par les Djan, PALENFO Santi et ses deux frères ont conquis ce village et le prirent de force. C’est donc par la force que les autochtones à savoir les Djan ont été contraints de quitter les lieux au profit des trois frères PALENFO qui le rebaptisent  » Lo teũ  » » dont la transcription a été aussi biaisée.

* Le village de Bamako

La traduction littérale : laisser, moi, cultiver / Traduction littéraire : laisse-moi cultiver

EN3 : « Situé à cinq kilomètres de Loto, ce village a été aussi fondé par les ancêtres venus de Talière, un village situé au Nord du Ghana actuel. Initialement occupé par les Djan, les Birifor, venus du Nord du Ghana actuel, s’y invitèrent à la recherche de terres cultivables. Une guerre s’éclata donc entre les deux communautés qui s’est soldée par la victoire du Birifor qui s’exprima en ces termes : Bar mã kɔ qui signifie laisse-moi cultiver. Le village a donc été baptisé en référence à cette expression, mais malheureusement mal transcrit par l’administration ».

* Le village de Djasser

Traduction littérale : s’asseoir, d’abord / Traduction littéraire : s’asseoir momentanément

EN4 : « Le nom de ce village aurait pour signification : asseyons-nous d’abord, au regard certainement de l’incertitude de la suite de leur parcourt, parce qu’au moins dans cette localité il y avait assez de bas-fonds cultivables. Par conséquent, ils se décidèrent de rester un moment, le temps de s’en convaincre. Djasser sera plus tard rebaptisé Diasser dû à une mauvaise transcription par le biais de l’administration ».

* Le village de Mebar

Traduction littérale : construire, laisser / Traduction littéraire : laissons des marques

EN5 : « Cette appellation renvoie à la toute première construction qu’il faut laisser après soi, trace qui marquera inévitablement son histoire ». Toutefois, sa transcription a été aussi francisée.

* Le village de Djorlari

Traduction littérale : courir, s’embusquer / Traduction littéraire : se trouver un refuge

EN6 : « Un nom qui renverrait à « se cacher » est un lieu qui servait de refuge aux populations en cas de danger » dont l’écriture n’est malheureusement pas en phase avec les principes de transcription de la langue.

* Le village de Golbar

Traduction littérale : contourner, les chiens/ Traduction littéraire : éviter les chiens

EN7 : « « Contourner, dévier, éviter » les chiens sauvages est le sens auquel renvoie l’appellation de ce village ».

* Le village de Bapla

Traduction littérale : bas-fond, blanc / Traduction littéraire : un marigot dont l’aspect est blanchâtre dû certainement à la sécheresse.

EN8 : « Le nom de ce village viendrait du guerrier SOME Bulbar. En effet, venu du Ghana, dans les années 1800, il s’est dirigé au Sud-ouest du Burkina Faso où vivaient déjà la communauté djan en désaccord avec les Bobos. Arrivé, il s’installa dans une localité où se trouvait un marigot dont l’aspect était blanchâtre, d’où l’appellation « Bapla ». Réputé pour sa bravoure, la communauté djan l’a accueilli, afin de bénéficier de sa protection ».

* Le village de Tiankoura

Traduction littérale : se rencontrer, se tuer / Traduction littéraire : dès que l’ennemi se retrouve sur son chemin, il faut le tuer.

EN9 : Des échanges, l’on retient que «la population autochtone était déterminée et préparée psychologiquement à l’avance à toute éventualité. En effet, face à tout ennemi qui envisagerait les défier sur leur terre était combattu jusqu’au dernier souffle » d’où l’appellation « Caã ka k( ka » dont la transcription est à l’image des autres suscités.

* Le village de Bombara

Traduction littérale : pauvreté, aller mieux / Traduction littéraire : les conditions de vie se sont améliorées.

EN10 : Selon les souvenirs de notre enquêté, « l’histoire remonte à deux frères qui seraient venus de Tenguéra pour s’installer au Sud-ouest. Temporairement installés, intervint un désaccord et de multiples soucis qui amenèrent un des frères à quitter la famille et trouva un autre point auquel il donna le nom Bombara, pour simplement dire que la souffrance a diminué ».

De l’examen des dénominations toponymiques susprésentés, essentiellement deux langues sont mises en exergue, notamment le lobiri et le birifor.

2-2- Sémantisme des toponymes 

Les noms des lieux offrent un large éventail de domaines sémantiques, qu’ils soient fixés par les autorités ou qu’ils entrent dans l’usage par voie populaire.

S’agissant de la présente étude, elle révèle que les toponymes formant notre corpus ont des structures particulières qui se présentent comme suit :

– Verbe + Nom (V + N)

– Verbe + Pronom + Verbe (V+Prn +V)

– Verbe + Adverbe (V + Adv)

– Verbe + Verbe (V + V)

– Nom + Adjectif (N + Adj)

– Verbe + Pronom + Verbe + Pronom (V +Prn+V+Prn)

– Nom + Verbe (N + V)

De leur analyse, il ressort que quelle que soit la structure, elle renvoie à une expression qui traduirait les conditions et aspirations de son concepteur. En ce qui concerne les toponymes des villages enquêtés, ce sont les noms renvoyant à la recherche de meilleures conditions de vie qui l’emportent. Des raisons historiques semblent justifier la configuration toponymique desdites localités. En effet, certaines populations ont choisi de rester à des lieux précis ou de migrer plutôt que de s’exposer à la famine ou aux nombreuses invasions. F. CHERIGUEN (1993, p.129), en substance, considère que c’est pour des raisons défensives, d’économie de terrain et de subsistance que l’occupation spatiale a fait l’objet de désignations toponymiques. Ce travail, esquisse d’un programme de recherche sur la toponymie au Sud-ouest, a été l’occasion pour nous de déceler certaines incohérences relatives aux résultats d’un certain nombre de travaux antérieurs avec la réalité du terrain. En effet, dans le cadre des travaux de recherche de B. WATARA (2018), examinons le témoignage d’un Dyan de Diébougou incorporé dans les troupes coloniales africaines (1898-1901) :

« Un Européen m’a demandé de venir au campement de Diébougou pour que je lui parle de ce qui se passait autrefois à Diébougou et dans les environs… Bien avant l’arrivée des Blancs, j’ai vu la guerre entre nous : les Dyans et les Birifors ; elle a duré sept ans entre les Dyans de Diébougou et les Birifors de Loto-Bapla. J’avais à cette époque 15 ans ; je ne combattais pas, mais je faisais le ravitaillement de flèches auprès des combattants dyans. Les combats se passaient à Loto… Les Birifors, ils perdent toujours. Quand il y a une attaque, ce sont les Birifors qui perdent. On combat avec des flèches, on ne fait pas de prisonniers : quand on en prend un, on le tue tout de suite… La guerre a duré sept ans comme ça ! ». B. WATARA (2018, p.274).

 

L’examen des propos ci-dessus d’un ancien avant la période coloniale sur la nature de la collaboration de certaines communautés, en particulier celles des Dyan et des Birifor, ils semblent être aux antipodes des propos des populations qui se sont prêtées à nos questions. En considérant les villages de « Loto, Bamako et Bapla » (Pour leur contenu sémantique, voir page 6-7-8) ,il y a une contradiction des faits relatés par les enquêtés et le témoignage présenté par B. WATARA (2018). De facto, il se dessine clairement la nécessité d’effectuer un regard croisé des récits antérieurs aux réalités du terrain, en effectuant des recherches complémentaires, pour en tirer des enseignements.

Par ailleurs, de l’analyse toponymique, l’on retient aussi que les anciennes générations s’adressaient à la future génération ou leur transmettaient leurs visions et leurs histoires à travers les inscriptions toponymiques. Autrement dit, ces inscriptions jouent un rôle de transmission de valeurs et messages intergénérationnels. Elles ne sont donc pas de simples transcriptions, mais porteuses de messages.

Cependant, le problème qui est relevé durant notre enquête, si l’ancienne génération s’adresse aux futures générations dans leurs langues à travers ces inscriptions toponymiques, force est de constater que le médium ou la chaîne de transmission est parasitée voire tronquée. Comme l’attestent les transcriptions « Bamako, Loto, Djasser, Tiankoura, Bombara, etc. ».

A l’image des affiches dans la capitale du Burkina Faso, montre que dans son ensemble, « les transcriptions sont guidées par le principe de transcription du français » P. S. I. R. YOUL (2020, p.18). Or, le français, tel qu’il est écrit, n’est pas un instrument approprié à la notation des langues nationales d’où les entorses observées sur les transcriptions, comme l’attestent les relevés toponymiques ci-dessus. L’application fréquente des principes de transcription du français aux langues nationales s’expliquerait certainement par l’incapacité des acteurs commis à cette tâche et par l’influence de la langue coloniale, notamment le français. Cet environnement traduit, une fois de plus, la position abaissante des langues nationales dans leur propre temple faisant d’elles des langues en position de subordination induisant de ce fait une situation de diglossie.

Conclusion

Ce travail de recherche avait pour objectifs de dégager les formes et les significations des toponymes des villages enquêtés. Des résultats de l’enquête, il ressort que les toponymes constituent des marquages et une appropriation de l’espace. En outre, ils constituent de véritables banques d’informations, l’essentiel de l’histoire d’une localité. Toutefois, il apparaît que les écritures toponymiques en langues nationales, dans les villages sillonnés, ne répondent pas aux principes d’écriture desdites langues. Aussi s’affiche-t-il une contradiction entre les données du terrain et les résultats de certains travaux de recherche antérieurs.

Références bibliographiques

BAYLON Christian, et FABRE Paul. 1982. « Les noms des lieux et de personnes », Nathan p. 39-40.

CHERIGUEN Foudil. 1993. toponymie algérienne des lieux habités, épigraphe, Alger, 187p.

Watara Bé. 1998. « Témoignage d’un Dyan de Diébougou incorporé dans les troupes coloniales africaines (1898-1901) » In : Journal des africanistes, Tome 68, fascicule 1-2. Parcours de conversion. pp. 272-291.

YOUL Palé Sié Innocent Romain. 2020. « Les langues nationales sur les enseignes dans la ville de Ouagadougou: une manifestation de diglossie », in Espace scientifique, Burkina Faso, Revue de vulgarisation de l’Institut des sciences des sociétés, pp.15-18.

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