TRAORÉ Daouda, Chercheur – CNRST/ INSS/ DLLN
DIALLO Asséta, Chercheur – CNRST/ INSS/ DLLN
1-Introduction
Les fidèles locuteurs de la rubrique ‘sémanticité ou la sémantique de nos cités’, une émission de quelques minutes diffusée juste après le journal de 13 heures à la radiodiffusion du Burkina (rtb), auront sans aucun doute fait la remarque suivante : la presque totalité des patronymes et toponymes du Burkina Faso ont été déformés au cours de leur transcription initiale par rapport aux versions authentiques dans les langues nationales. Et depuis l‘avènement des Indépendances, la correction de telles erreurs n’a pas constitué une priorité pour les différents gouvernements qui se sont succédé ; en dehors de quelques tentatives pendant la période révolutionnaire. Ce phénomène ne semble pas propre au Burkina Faso. De nombreux pays africains, surtout francophones, partagent ces mêmes réalités. Jusqu’à nos jours, dans nos pays, des initiatives officielles en vue de restituer les versions authentiques de nos patronymes et toponymes se font toujours attendre. Pire, au Burkina Faso, les déformations des toponymes se poursuivent, à travers les enseignes de certains lieux publics gérés par l’Etat. Parlant justement d’enseignes des services publics de l’Etat, quels en sont les différents types rencontrés au Burkina Faso, en termes de langues des messages y véhiculés ? Les langues nationales sont-elles prises en compte dans les messages contenus dans les affichages des services publics de l’Etat ? Le cas échéant, quelle analyse critique peut-on faire de leur transcription, en termes de respect des normes orthographiques ? C’est notamment à ces questions que nous tenterons, dans la suite du travail, d’apporter des réponses.
2- Approche méthodologique
Pour la rédaction de ce texte, nous avons observé les enseignes publiques de l’Etat dans les villes de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, puis avons collecté parmi elles celles portant des informations inscrites en langues nationales. Certains écrits antérieurs sur les affichages publics en langues nationales burkinabè ont également été consultés.
3- Résultats de l’analyse
Sous ce point nous allons examiner rapidement la configuration des panneaux d’indication des enceintes publiques gérées par l’Etat, avant d’analyser la place des langues nationales dans ladite configuration. Ensuite nous nous livrerons à une analyse critique des transcriptions contenues dans lesdits panneaux, en termes de respect ou non des normes orthographiques.
3-1- Les caractéristiques des affichages publics de l’Etat
Les affichages de l’Etat se caractérisent, dans leur majeure partie, par les panneaux d’indication ou de sensibilisation des services publics. On y dénombre de façon générale les différentes catégories suivantes : (1) Les panneaux monolingues en français (qui sont de loin les plus nombreux dans les deux principales villes du pays). On enregistre de plus en plus des panneaux indiquant des lieux portant des noms en langues nationales (surtout les marchés) ; (2) Les panneaux bilingues, constitués des types suivants : – Les panneaux bilingues à langues superposées (Le français, toujours en position dominante, et une des langues nationales, moore, jula, fulfulde, inscrite en dessous, dans une position de langue du message traduit) ; – Les panneaux bilingues à une langue par face (Ce sont des panneaux dont le recto et le verso servent à véhiculer le même message d’un service de l’Etat dans deux langues différentes : Le recto, généralement en français et le verso dans une des langues nationales) ; (3) Les panneaux de quatre langues et plus (se caractérisant par les inscriptions superposées des mêmes informations en français et dans les trois principales langues nationales du pays que sont le moore, le jula et le fulfulde. (Cf. D. Traoré, 2018).
3-2- La prise en compte des langues nationales dans les affichages publics de l’Etat
La prise en compte de nos langues dans les affichages publics de l’Etat est relativement récente au Burkina Faso et est à saluer à sa juste valeur. Elle est certes circonscrite à quelques centres urbains du pays, notamment Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, mais semble être inscrite dans une tendance évolutive. En la matière, il faut saluer certains ministères qui se distinguent par leur engagement à faire figurer, en plus du français, les trois principales langues nationales du pays (moore, jula et fulfulde) dans les inscriptions sur les panneaux d’affichage de certains de leurs principaux services. Au nombre de ces ministères, lequel serait le mieux placé que celui en charge de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales (MENAPLN) pour porter une telle initiative en montrant le chemin aux autres et en les convainquant de son bien-fondé ! En plus du MENAPLN, d’autres ministères se sont inscrits dans la même logique, à travers certains de leurs services qui ont vocation à recevoir du monde dans le cadre de leurs domaines de compétences. Nous pouvons citer les exemples : des urgences médicales de certains centres hospitaliers universitaires comme le CHU Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou (ministère de la santé) ; du palais de justice de Ouagadougou (ministère de la justice) ; du trésor public (ministère des finances), etc. D’autres ministères comme celui en charge des questions sociales et de la solidarité, dont certains services sont reconnus pour les messages de sensibilisation qu’ils diffusent au quotidien au sein de la population. Ces messages sont souvent inscrits sur des panneaux de sensibilisation qui indiquent lesdits services ou aux abords de certaines grandes artères des principales villes du pays. La nouvelle donne concernant ces messages est qu’ils sont de plus en plus traduits, au verso des panneaux, dans la langue véhiculaire la plus utilisée de chaque localité concernée. C’est notamment le cas d’un message de sensibilisation contre la pratique de l’excision en langue jula, sur un panneau de sensibilisation de la direction régionale des Hauts-Bassins, du ministère de l’action sociale à Bobo-Dioulasso. Ce sont des pratiques salutaires, en ce sens qu’elles permettent enfin d’envisager la prise en compte d’une frange importante de la population alphabétisée dans une des langues nationales véhiculaires du pays et ne sachant ni lire, ni écrire en français. Elles participent du même coup des actions de post-alphabétisation, en ce sens que ces inscriptions en langues nationales permettent aux personnes alphabétisées de pratiquer les connaissances acquises pendant les campagnes d’alphabétisation.
3-3 Analyse critique des transcriptions en langues nationales sur les panneaux
Les transcriptions en langues nationales sur les panneaux publics de l’Etat, en termes de respect des normes de transcription, présentent deux cas de figures :
– Les transcriptions sur les panneaux des différents ministères sont dans l’ensemble conformes aux règles de transcription orthographique. Du reste, lorsque l’on examine la plupart des panneaux (dont nous disposons dans notre collection) portant ces inscriptions en langues nationales, on se rend compte que la rédaction desdites inscriptions a été confiée à des personnes-ressources de l’actuel MENAPLN. Il est même aisé d’apercevoir au bas de certains de ces panneaux les acronymes MEBA (Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation) ou MENA (Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation). Ce sont les acronymes de l’actuel MENAPLN (Ministère de l’Education Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales). Nous avons relevé ces inscriptions sur les panneaux des ministères de la santé (pour l’acronyme MENA) et de la justice (pour l’acronyme MEBA). Sur le panneau du trésor ci-dessous, aucun de ces acronymes n’y figure ; les différentes transcriptions en moore et jula nous semblent cependant conformes à la norme :
Sur le panneau de la direction régionale des Hauts-Bassins, du ministère de l’action sociale à Bobo-Dioulasso, nous avons noté dans la transcription en jula, en dehors de quelques variations (individuelles ou régionales) consonantiques et vocaliques qui, pour notre part, n’entachent nullement le sens des termes concernés (diyen au lieu de diɲɛ, tiyɛn au lieu de tiɲɛ), un cas d’interversion des caractères dans un mot. Cela pourrait dénoter d’un défaut d’attention et de vérification approfondie de la dernière version de la traduction inscrite sur le panneau. Il s’agit du mot denw ‘enfant’, noté sans doute par inadvertance dewn sur le panneau. Ci-après ledit panneau (à droite pour le jula) :
– Les transcriptions des toponymes en langues nationales dans notre pays sont à revoir dans leur ensemble. Nous avons décidé de focaliser ici notre attention sur le cas du nom d’un marché bien connu dans la ville de Ouagadougou. Il s’agit du nom en moore du marché dont la traduction en français est ‘marché du soir’. Nous savons que le mot marché signifie en moore daaga ~ raaga. Le mot soir, lui, en moore signifie zaabre (cf. N. Nikiéma et J. Kinda, 1997). Marché du soir renverrait alors dans cette langue à zaabre-daaga. Cependant, dans le panneau fièrement implanté à l’entrée du célèbre marché, la commune de Ouagadougou nous propose un nom qui n’est pas celui qu’on entend lorsque les Moose réalisent le nom dudit marché. Ce qu’on entend est zaabre-daaga et non zabre-daaga, tel que transcrit sur le panneau ci-dessous :
Les conséquences d’une telle erreur de transcription sont lourdes de sens. Le mot zaabre est transcrit ici avec une voyelle longue (aa). La longueur vocalique a une fonction distinctive en moore, car servant à marquer une différence de sens entre deux mots. C’est ainsi que zaabre ‘soir’ et zabre ‘bagarre’ ne peuvent pas être employés l’un à la place de l’autre sans que cela n’implique des conséquences sémantiques. C’est le cas ici où, pour indiquer le marché du soir (zaabre-daaga), la mairie de Ouagadougou nous indique plutôt un certain marché de la bagarre (zabre-daaga) dont l’existence est totalement méconnue des autorités administratives et coutumières de la ville. Laisser perdurer cette erreur sur le panneau d’indication dudit marché et dans les archives de la mairie de Ouagadougou, signifie tout simplement que ce beau marché qui fait la fierté de Ouagadougou a été débaptisé et rebaptisé. D’un ‘marché du soir’ on est passé à un ‘marché de la bagarre’, pour avoir omis, par inadvertance ou par méconnaissance des règles de transcription du moore, de redoubler la première voyelle a du mot zaabre.
Chose curieuse, contrairement aux habitudes que nous relevions dans un de nos écrits précédents, cette erreur des autorités administratives de la ville de Ouagadougou n’a pas eu des effets de contagion généralisée dans la ville. Mieux, la correction est venue du privé, comme ci-dessous illustrée :
4- Conclusion
Cet écrit nous a permis de relever les différentes caractéristiques des panneaux d’indication ou de sensibilisation des services de l’Etat. Des panneaux monolingues aux panneaux bilingues et même au-delà, les langues nationales y sont de plus en plus prises en compte aux côtés de la langue officielle du pays qu’est le français. Quant au respect des normes de transcription des inscriptions dans les langues nationales, les panneaux des ministères qui y ont franchi le pas donnent dans l’ensemble des motifs de satisfaction. Au niveau des panneaux d’indication des toponymes en langues nationales, sous la responsabilité des communes, de nombreuses transcriptions nécessitent des corrections. C’est notamment le cas à Ouagadougou du panneau indiquant le marché dit zabre-daaga au lieu de zaabre-daaga. Les implications sémantiques de telles transcriptions non conformes aux normes sont nombreuses et le plus souvent gênantes.
Références bibliographiques
NIKIEMA Norbert et KINDA Jules, 1997, Dictionnaire orthographique du moore, Sous-commission nationale du moore, Ouagadougou, atelier de la SOGIF.
TRAORÉ Daouda, 2018, Affichages publics et gestion des langues au Burkina Faso : le cas des panneaux des services de l’Etat dans les centres urbains, In Journal en ligne lefaso.net, Disponible en ligne sous le lien http://lefaso.net/spip.php?article81660/