De la transcription orthographique officielle des termes jula : le cas de Koko Dunda

TRAORÉ Daouda,

Chercheur – CNRST/ INSS/ DLLN

DIALLO Asséta

Chercheur – CNRST/ INSS/ DLLN

1- Introduction

S’il y a un pagne qui a longtemps incarné une valeur dépréciative au Burkina Faso, car considéré comme servant à vêtir les couches défavorisées, c’est sans aucun doute le kɔɔkɔ donda. Ce pagne a cependant amorcé une ascendance valorisante à partir de 2017 grâce au styliste Sébastien Bazemo alias Bazem’se, à travers la première édition de ‘Bobo Fashion Week’, entièrement consacré au kɔɔkɔ donda. Depuis, ce pagne n’a cessé conquérir le cœur des Burkinabè. Les couturiers et modélistes s’y sont mis, en proposant au commun des Burkinabè toutes sortes de coupes qui suscitent même de l’admiration hors du Burkina Faso. De même, pour l’écriture du nom dudit pagne, chacun y est allé de sa graphie. Le 13 septembre 2021, le ministre d’alors en charge de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, le Dr Harouna Kaboré, a procédé à Bobo-Dioulasso au dévoilement du logo du label du pagne, portant une graphie que nous considérons comme celle officialisée par le gouvernement. C’est justement cette graphie officielle qui fait l’objet de notre écrit, en tant que linguistes, tous pratiquant et enseignant la transcription orthographique de la langue jula dans différentes universités du pays (l’une à l’Université Joseph Ki Zerbo/Ouagadougou et l’autre à l’Université Nazi Boni/Bobo-Dioulasso). Est-elle conforme à la phonie du terme tel que réalisé en jula ? Respecte-t-elle les règles de transcription orthographique du jula ? C’est la réponse à ces questions qui constituera l’ossature de la présente réflexion.

2- Approche méthodologique

Les données qui ont servi à la rédaction de ce texte ont été collectées à travers les écrits de presse sur internet et à travers tout autre support accessible au public (enseignes, affiches publiques, etc.). Elles sont aussi le fruit d’observations directes dans les deux grandes villes du Burkina Faso que sont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

3- Résultats de l’analyse

En attendant d’y revenir, et pour des besoins d’usage du terme dans la suite du travail, nous retenons la graphie kɔɔkɔ donda comme la transcription orthographique officielle qui aurait dû figurer sur le logo du label du pagne, ainsi que sur tout document administratif officiel.

3-1- De l’origine du nom kɔɔkɔ donda

Kɔɔkɔ donda est un nom composé d’origine jula. Il est constitué des termes : Kɔɔkɔ ‘l’autre rive’ + donda ‘entrée’. Kɔɔkɔ et donda sont eux-mêmes des noms composés :

– Kɔɔkɔ est composé de Kɔɔ ‘le marigot, le cours d’eau non permanent, la rivière, le ruisseau’ et de kɔ ‘arrière, derrière, extérieur’. Kɔɔkɔ signifie ‘l’autre rive’.

– Donda, lui, est le nom composé de don ‘enter, pénétrer, introduire …’ + da ‘porte, ouverture, issue …’. Donda signifie alors ‘la porte d’entrée, l’entrée’.

Kɔɔkɔ est le nom d’un quartier de Bobo-Dioulasso, situé sur l’autre rive du marigot. Kɔɔkɔ donda renvoie à l’entrée du marché de Bobo-Dioulasso orientée vers le quartier Kɔɔkɔ. C’est là que se vendaient prioritairement ces pagnes qui, en général, portaient des noms jula dévalorisants. Au regard de la situation géographique de leur accessibilité, on finit par leur attribuer le nom Kɔɔkɔ donda qui, au fil du temps, a supplanté les autres appellations en portant le sceau de nom officiel. Ci-après illustrée, une collection de motifs du pagne Kɔɔkɔ donda :

Source : photo enquêtes de terrain (Bobo-Dioulasso), Traoré Daouda

 

3-2- Les avantages de sa labellisation pour le Burkina Faso

A l’annonce de la labellisation du pagne Kɔɔkɔ donda, tous les Burkinabè en étaient fiers et l’ont d’ailleurs en majorité exprimé à travers les réseaux sociaux et différentes radios de la place.

Pour parvenir à ce stade des choses, il a fallu l’engagement personnel du ministre, qu’il faut saluer. Le kɔɔkɔ donda était en effet le quatrième produit à être labellisé au Burkina Faso, après le Faso Danfani le 30 avril 2019, le Chapeau de Saponé le 04 juillet 2020 et le beurre de karité du Burkina Faso, le 3 août 2021. Ces reconnaissances officielles de la qualité et de l’originalité de ces produits fabriqués au Burkina Faso leur garantissent une certaine fiabilité et visibilité internationale. En plus, ces labels constituent un important support de crédibilité et préservent ces produits labellisés de la contrefaçon, la concurrence déloyale et visent à la sauvegarde de l’identité culturelle burkinabè. Ils permettent également de créer des emplois, et par ricochet de lutter contre la pauvreté. La labellisation de ces produits a donc une importance historique, culturelle, sociale et économique pour le Burkina Faso.

3-3- A propos de la transcription orthographique du nom

A force de vouloir franciser l’orthographe des mots issus de nos langues nationales, on finit naturellement par les déformer, comme c’est ce fut le cas de koko dunda, ci-dessous transcrit sur le logo du label :

Source : Site du Ministère du Développement Industriel, du Commerce, de l’Artisanat et des Petites et Moyennes Entreprises

 

N’ayant pas tirer les leçons des conséquences liées à la corruption des patronymes et toponymes authentiques burkinabè, du fait de leur transcription conformément à l’alphabet et aux normes orthographiques de la langue française, nous semblons nous complaire dans le faux et dans la dévalorisation de nos valeurs culturelles. L’idéal aurait été de transcrire en jula le nom du pagne dont il est question, puis qu’il est constitué de termes appartenant à la langue jula qui, de surcroit, possède un alphabet et des règles de transcription orthographique. Cela aurait permis, non seulement de contribuer à la promotion du patrimoine linguistique du Burkina Faso, mais aussi de servir d’exemple pratique à l’une des recommandations que nous faisons aux étudiants lors des cours de transcription orthographique : se servir toujours des alphabets et des normes de transcription orthographique de nos langues, pour celles qui sont décrites et codifiées, pour la transcription orthographique des textes dans lesdites langues. Si nous dispensons aux étudiants des enseignements que les premiers responsables du pays omettent de prendre en compte dans les applications de leurs décisions, cela s’apparente aux yeux desdits étudiants à des enseignements sans valeur et par conséquent non nécessaires hors des salles de cours.

3-4- Pourquoi est-il difficile de transcrire le nom kɔɔkɔ donda avec l’alphabet du français ?

Lorsque nous examinons la phonie du terme koko dunda tel que transcrit sur le logo du label, elle renvoie à tout, sauf à la langue jula. Autrement dit, le terme koko dunda ne signifie rien en jula. Le français et le jula n’ayant pas exactement le même nombre de phonèmes, il y a forcément quelques sons qui existent dans l’une de ces langues mais qu’on ne trouve pas dans l’autre, et vice versa. Par exemple, la voyelle nasale on du jula n’existe pas en français. S’entêter donc à transcrire le mot donda du jula avec l’alphabet du français, conduit forcément à la dérive. De même, le mot kɔɔkɔ du jula ne correspond nullement à koko tel que transcrit sur le logo du label. En dehors du fait que la voyelle ɔ ici est réalisée longue, elle ne saurait correspondre à la voyelle o du français.

3-5- Les compétences du MENAPLN ont-elles été sollicitées avant la labellisation ?

Certes la labellisation des produits de commerce relève de la souveraineté du ministère de l’industrie, du commerce et de l’artisanat. Mais au nom de la collégialité au sein du gouvernement, nous pensons que toute transcription dans une langue nationale au bénéfice de toute structure de l’Etat, aurait dû être soumise à l’appréciation des services techniques en charge de la promotion des langues nationales du MENAPLN (Ministère de l’Education Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales) et même au besoin du MESRI (Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) qui dispose d’un département de linguistique et langues nationales au CNRST (Centre Nationale de la Recherche Scientifique et Technologique) et de départements de linguistique à l’université Joseph Ki Zerbo et à l’Université Nobert Zongo. Si par mégarde le ministre en charge du commerce et de l’artisanat d’alors a omis de solliciter les services de son collègue en charge de la promotion des langues nationales, cela constitue une erreur qui pourrait quelque peu ternir les immenses efforts consentis en vue de parvenir à la labellisation du produit. Ce qui est certain, et nous tenons cela de source sûre, la sous-commission du jula (de la Commission Nationale des Langues Burkinabè/CNLB) qui est la structure nationale en charge de la validation des transcriptions en langue jula, n’a pas été consultée pour une quelconque appréciation de la transcription ici décriée. Elle ne l’a aussi découverte que lors de la présentation officielle du logo du label à Bobo-Dioulasso.

3-6- Qu’en est-il du décret portant codification de l’alphabet national ?

Le 2 février 1979, le Président de la République d’alors, le Général de corps d’armée, El Hadj A. Sangoulé LAMIZANA signait un décret portant codification de l’Alphabet National Voltaïque. L’article 6 de ce décret stipule que « Toute transcription en langue nationale devra être conforme à l’alphabet annexé au présent décret ».

Son article 7 précise que : « A partir de la promulgation du présent décret, une période de cinq ans est accordée aux usagers des langues nationales pour se mettre en règle vis-à-vis de l’alphabet national ». Par conséquent, l’article 8 est on ne peut plus clair : « Passé ce délai de cinq ans, tout document à l’usage du public national et international qui ne sera pas conforme à l’alphabet national sera retiré de la circulation ».

En dépit de cette règlementation, tout se passe dans notre pays comme si un tel décret n’avait jamais existé. Nous n’irons pas jusqu’à demander que les transcriptions qui ne sont pas conformes aux normes orthographiques des langues concernées soient retirées de la circulation. Ce que nous souhaitons, ce sont des corrections progressives des transcriptions en langues nationales sur les enceintes publiques de l’Etat, en impliquant les sous-commissions des langues concernées, appuyées par des personnes-ressources issues du MENAPLN et du MESRI. Les erreurs non corrigées, venant particulièrement de l’Etat, se perpétuent rapidement et ont même tendance à se substituer à la norme, surtout lorsque cette dernière est méconnue du grand public. C’est l’exemple ci-dessous de l’orthographe décriée (koko dunda) qui fait déjà des émules dans le privé à Ouagadougou :

Source : photo enquêtes de terrain, Traoré Daouda

 

4- Conclusion

Cet écrit est une analyse critique du terme koko dunda, tel que transcrit sur le logo du label et qui est censé être la graphie du pagne nommé en jula kɔɔkɔ donda. Nous retenons de cette analyse que la transcription koko dunda est corrompue et symbolise un dysfonctionnement qui aurait échappé à la vigilance des responsables d’alors du ministère du commerce : celui d’avoir en son temps omis de solliciter l’appréciation des compétences en matière de respect des normes de transcription orthographique du jula (à travers le MENAPLN et le MESRI). Nous recommandons, pour ce faire, que toutes les transcriptions officielles en langues nationales sur les enseignes publiques de l’Etat soient soumises à une appréciation critique des compétences de l’Etat en matière de normes, en vue d’une tendance vers des corrections progressives.

 

Références bibliographiques

République de Haute-Volta, 1979, Décret portant codification de l’Alphabet National Voltaïque.

Ministère du Développement Industriel, du Commerce, de l’Artisanat et des Petites et Moyennes Entreprises, Valorisation du made in Burkina : le logo du label koko dunda dévoilé ! https://www.commerce.gov.bf/accueil/actualites/

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