Selon une étude menée par l’UNICEF au Burkina et au Niger en 2013, 83% des élèves lorsqu’elles ont leurs règles participent moins au cours, 28% sont absents de l’école et 90% n’ont pas la possibilité de gérer de manière hygiénique leurs menstrues à l’école. Afin d’inverser la donne, le Réseau des Femmes pour la Paix au Burkina Faso (REFFOP_BF) a tenu une conférence publique avec les élèves des établissements périphériques de la ville de Ouagadougou ce mardi 13 juin 2023. Cette rencontre qui s’inscrit dans le cadre du projet Sang Tabou a été l’occasion pour le réseau de commémorer en différé la journée de l’hygiène menstruelle célébrée le 8 mai dernier.
Ils étaient plus d’une centaine, élèves, encadreurs et parents d’élèves à prendre part à ce cadre de concertation. Venus de trois établissements d’enseignement de la ville de Ouagadougou, les participants ont été tenus en haleine pendant plus de trois heures. Dans son discours d’ouverture, la présidente du REFFOP, Marie Odile Traoré/Dolomwéogo a rappelé aux élèves que les menstrues ne devraient pas constituer une gêne à même d’impacter leur cursus scolaire. «Ce sont les menstrues qui font la femme», a-t-elle rappelé d’emblée aux participants avant de revenir sur l’objet de la rencontre du jour. «Nous sommes réunis ce matin pour deux activités dans le cadre d’un projet que nous mettons en œuvre dans trois établissements à Ouagadougou. Ce projet dénommé Sang Tabou, il s’agit d’un projet qui œuvre dans la mise en oeuvre de la gestion des menstrues en milieu scolaire (…) Ce que nous poursuivons, c’est emmener les jeunes filles à une bonne gestion de leurs menstrues qui va leur permettre de poursuivre leurs études scolaires parce qu’on a fait le constat que beaucoup de filles surtout en milieu défavorisé abandonnent l’école à cause des menstrues. Donc notre projet, c’est de réduire l’abandon de ces filles», témoigne Mme Traoré. «Nous avons choisi un établissement scolaire où nous avons convié les autres établissements pour échanger sur ce que sont les menstrues, quelles sont les conduites à tenir, quel est l’impact sur le cursus scolaire et en même temps voir avec eux comme pendant toute l’année ils ont eu des formations sur ces thématiques, voir avec eux, qu’est ce qu’elles ont pu acquérir, qu’est ce que ça leur a apporté de positif pour eux-mêmes et leur entourage», précise Georges KOBA, chargé de suivi-évaluation du projet.
Au programme de la journée, une évaluation des connaissances des élèves sur l’hygiène menstruelle. En effet, les élèves participants bénéficient depuis le début du projet de formations sur la question des menstrues. L’évaluation du jour vise non seulement à renforcer l’information mais aussi rassurer les initiateurs de l’intérêt des élèves pour la question. «À travers l’évaluation, nous sommes satisfaits et nous sommes confiants car on sentait surtout une certaine aisance autant chez les filles que chez les garçons de parler de cette question «tabou» dans leurs communautés. C’est déjà un succès pour nous de briser cette honte quand il s’agit de parler des menstrues», se réjouit la présidente du REFFOP_BF. Alcinius Dombwa est spécialiste de chirurgie générale. C’est lui qui a formé les différents participants lors de la première phase du projet. Après avoir evalué les enfants, il se dit satisfait. «En tant que formateur, je suis très satisfait des résultats obtenus. Nous voyons que les élèves ont compris ce que c’est que la gestion des menstrues en milieu scolaire avec l’impact positif par rapport à tout ce que nous avons donné. Nous remercions vraiment le REFFOP pour leur engagement à accompagner les élèves dans leur vie de femme».
Pour les élèves, bénéficiaires directs du projet «Sang Tabou», les motifs de satisfaction sont divers. «Nous savons déjà ce que sont que les menstrues, nous savons comment gérer les menstrues. Nous savons aussi les conséquences de la mal gérance. Cette conférence a été très utile pour moi, parce que ça me donne l’occasion de sensibiliser les gens autour de moi, mes sœurs, mes amies et mes camarades», confie Florentin SANOU, élève en Terminale « D » au Groupe Scolaire Edgard Moren.
PourMariam SANOU du lycée privé Saint Ambroise qui manquait les classes 4 jours par mois en raison des menstrues, l’extase est totale. «J’ai beaucoup aimé la formation car ça va m’aider dans le futur. Je ne vais plus m’absenter des classes pour cause des menstrues car il y a des mécanismes qu’on m’a montrés pour aider à gérer les menstrues en milieu scolaire».
Les serviettes hygiéniques disponibles sur le marché me provoquaient des rougeurs
Tatiana Nacoulma est apprenante en biotique informatique au centre de formation professionnelle Don Bosco situé au quartier Bonheur Ville. Elle s’absentait des classes pendant la période de ses règles car les serviettes hygiéniques industrielles lui causaient des rougeurs. Mais avec les serviettes hygiéniques qu’elle a apprise à fabriquer à travers le projet, elle dit être soulagée. «Depuis le début du projet, j’ai appris à fabriquer des serviettes hygiéniques, j’ai appris à compter mes menstrues. Et moi particulièrement, je ne saurai quoi dire pour remercier car les serviettes hygiéniques disponibles sur le marché me provoquaient des rougeurs. Avec les serviettes qu’on nous a apprises à fabriquer, je me sens véritablement soulagée. J’aimerais beaucoup participer à d’autres conférence», confesse Tatiana.
De quoi réjouir les encadreurs qui travaillent quotidiennement au côté des élèves. «À notre niveau, nous sommes à 98% de jeunes filles dont l’âge est compris entre 15 et 25 ans, donc c’est vraiment une aubaine pour nous, que le projet sang tabou vienne à notre appui pour sensibiliser les jeunes femmes à accepter leurs menstrues régulières ou irrégulières et comment pouvoir gérer ça avec leur cycle scolaire. Le projet a déjà fait un impact parce que nous avons remarqué qu’au niveau des toilettes er des classes, on ne dépose plus les serviettes au hasard. Au niveau de leur comportement social entre elles, il y a vraiment un grand changement. Elles acceptent un certain nombre de choses surtout avec l’appui des jeunes garçons», relève Narcisse TAPSOBA, accompagnateur du centre hôte de la conférence, le CFP Don Bosco. Justine KIEMDE/BANGRÉ, encadreur du lycée privé Saint Ambroise évoque une réduction des absences des filles dans son établissement depuis la mise en oeuvre du projet. «C’est un grand bénéfice pour nous surtout qu’on est en périphérie. La question est encore tabou chez nous. Et avec ce projet, mes élèves sont aguerris. Il y a beaucoup d’élèves qui quittaient l’école et qui revenaient deux ou trois jours après, vu ce qu’elles ont raté, c’est compliqué de rattraper. La formation, ça a vraiment contribué à baisser le taux d’abandon et d’absence scolaires», avoue Mme KIEMDE.
Le projet «Sang Tabou» a été financé par l’ONG Oxfam. La Présidente du REFFOP_BF n’a pas manqué de leur traduire ses remerciements pour la confiance et l’accompagnement dans la mise en oeuvre. «Je remercie vraiment Oxfam pour la confiance donnée au REFFOP et surtout demander encore leur accompagnement car on a vu l’engouement, c’était vraiment attendu. Les filles n’attendaient que ça, qu’on leur tende la perche pour briser cette gêne de parler des menstrues. Il y a des établissements aussi qui sont là, et qui tapent à la porte pour que le projet s’étende à eux. Également, là où on a intervenu, les élèves ont témoigné vraiment leur intérêt à ce qu’il y ait un suivi, une capitalisation de ce qu’ils ont eu à recevoir», lance Mme TRAORÉ. Un plaidoyer porté également par les encadreurs et le formateur.
Le REFFOP_BF est un réseau qui regroupe l’ensemble des femmes de foi du Burkina Faso. Les faîtières membres sont la conférence épiscopale Burkina-Niger, la Fédération des Associations Islamiques du Burkina (FAIB) et la Fédération des églises et missions évangéliques du Burkina (FEME). L’objectif du Réseau c’est de rassembler les femmes de ces différentes faîtières en vue de promouvoir le vivre-ensemble, la cohésion sociale et la paix. Le projet «Sang Tabou» dont le Réseau est chargé de la mise en oeuvre couvre cinq établissements dont trois dans les quartiers périphériques de Ouagadougou qui accueillent des déplacés internes et deux dans la commune de Nagreongo.
Pierre Bonkoungou